LAURIS 1982 - 1983
En octobre 1982, il est invité à une exposition de groupe à Pinarello en Corse, organisée par "La Salle Basse" de Martigues. Différentes générations s'y côtoyaient apportant ainsi aux amateurs iliens, la curiosité de la diversité de leur tendance.
Un mois plus tard, en novembre, il expose à "La Salle Basse" du 20 novembre au 23 Décembre, une trentaine de toiles figuratives mais aussi ses dernières recherches qui seront appréciées par les critiques et les amateurs d'art.
Un des ses plus fidèles collectionneurs, Monsieur André Peccaud, lui avait écrit un petit mot qu'il avait lu avec plaisir. Il faisait partie d'un petit cercle de vrais amateurs peu fortunés qui aimaient sincèrement la peinture en y consacrant chaque mois une petite somme d'argent pour avoir simplement le bonheur de vivre avec (sans penser .... spéculation).
Ils aidaient ainsi un peu les artistes à pouvoir continuer à peindre.
Après son succès pour l'inauguration de "la Maison Portugaise", cette galerie lui propose une exposition personnelle pour le mois de décembre 1983.
Il présente une trentaine de toiles transitoires, de sa peinture concrète à ses récentes abstractions.
Pour ses oeuvres figuratives, il avait innové une nouvelle technique en intégrant dans ses couleurs un liant récent ... la résine qui apportait plus d'aspérité et de densité.
Il commençait aussi à s'intéresser aux sables colorés extraits des collines proches d'Apt en Vaucluse où il aimait se promener.
C'est une exposition qui est restée plus présente que les autres, car Monsieur Luciani lui avait proposé de le photographier, ce qui était une excellente idée, la seule fois d'ailleurs !
Louis ne s'est jamais intéressé à la photographie. Je pense même qu'il la détestait sans explication.
Pourtant un grand nombre d'artistes s'en sont servie partiellement pour l'élaboration de leurs oeuvres.
Les photographies faisaient partie des arts mineurs mais, actuellement avec l'essor numérique, elles connaissent un tel engouement mondial qu'elles ne sont pas loin d'égaliser la peinture.
Il y a quelques années, une galerie de tableaux qui en présentait était à "l'agonie" ! | |
Malgré la réticence de certains de ses amateurs surannés, ses abstractions démontraient qu'il poursuivait le cheminement de ses recherches en gardant toujours les couleurs raffinées de sa palette et sa façon de les structurer.
Il avait agréablement surpris un public plus jeune, plus apte à la modernité.
La peinture figurative impose un sujet au regard quand à l'abstraction, elle laisse beaucoup plus de liberté et d'ouverture au rêve où chacun peut y voir ce qu'il veut selon son état d'âme !
Ce n'était plus une peinture d'instinct, mais beaucoup plus intellectuelle, qui essayait de nous faire voir l'invisible et le lyrisme de sa nature intime. Renonçant à tous sujets identifiables, il devait travailler avec acharnement oubliant sa vision d'humain et cerner un univers pictural à la mesure de son imaginaire pour apporter la rêverie, la poésie et la musicalité.
Il ne reniait absolument pas sa période figurative mais son oeuvre évoluait normalement avec la modernité de son environnement qui influençait la vie culturelle à son insu.
Toujours à contre courant des modes artistiques, il n'en subissait aucune influence d'autant plus que l'art abstrait déclinait. Rester avec ce regard classique et idyllique le menait à "l"impasse" !
A propos de cette exposition mémorable, un de ses tableaux avait été dérobé ! un fait surprenant qui suscitait beaucoup de questionnements pour en cerner le mobile ?. Nous avions conclu, à bon escient, que son ravisseur était un amateur passionné désargenté !!
Dans cette série, il avait choisi et accroché cette toile, ce qui était très rare, et elle est toujours à cette place dans la maison. Peut être qu'il la trouvait la plus aboutie, charnière des différentes étapes de son évolution.
Il avait réussi par des lignes verticales à donner du relief à tout l'ensemble avec une impression de légèreté et surtout toujours cette rigueur d'un perfectionniste.
Ce tableau qu'il appréciait, avait été conçu par synthèse après avoir expérimenté des étapes techniques en peignant plusieurs tableaux de structures presque identiques mais avec différentes harmonies dominantes de rouge, de bleu, de blanc et de vert. Puis il les avait abandonnés dans son atelier, sans les signer .... | |
Ces tableaux témoignent que sa démarche vers l'abstraction ne s'était pas passé sans opiniâtreté et sans un travail incroyable. Il tâtonnait bien souvent dans l'incertitude, par l'absence de repères, et gardait aussi dans ce nouveau cheminement son individualité. Il disait "je suis toujours à la recherche de quelque chose".
Ainsi, lors de rencontres avec des amateurs qui lui posaient des questions sur son travail, il répondait "je ne fais rien", ce qui était stupéfiant. Ses plus belles oeuvres sur papier de grands formats sont des gouaches, des encres de Chine de couleurs parfois mélangées et de pastels gras. Ces substances fugaces l'obligeaient à peindre par des jets colorés avec plus de spontanéité. Ses paysages se situaient du Lubéron jusqu'à la montagne de Lure. Il aimait surtout l'automne et l'hiver où les couleurs intenses de l'été se pastellisaient dans une lumière douce, rousse et où les arbres défeuillés aux troncs devenus noirs et aux branches squelettiques s'élançaient dans des cieux flamboyants.
Il trouvait ce paysage pictural avec ses villages perchés aux maisons de pierres dorées couvertes de lauzes grises qui surgissaient au détour de la route dans un ciel au bleu incomparable et une lumière magnifique, sans oublier cette odeur d'un mélange de sauvagine, d'olives et de feux de bois si particulière de leurs rues.
Il rejoignait aussi l'amour et la poésie de Jean Giono pour leur pays natif qu'ils parcouraient ... l'un avec ses pinceaux, l'autre avec ses plumes.
Giono était un magicien qui faisait surgir dans notre imagination par son écriture des personnages et des paysages bucoliques qu'il créait en les inventant un peu comme des tableaux, un peintre de mots !!.
La Provence a inspiré de nombreux peintres, dont de grands maîtres qui préféraient les bords de la Méditerranée et ses environs, mais aussi des milliers en tout genre allant des petits maîtres jusqu'aux "peinturlurleurs" où le médiocre se dispute à l'horrible.
Par contre, il n'y avait pas beaucoup d'artistes qui venaient planter leur chevalet dans ce Haut Pays sobre et hostile aux couleurs mornes pendant l'hiver, où il fallait y vivre pour le connaître, le subir et le peindre "vrai" ...
Sa nature brûlée par un climat impitoyable où sévissait l'aridité de la terre, la froidure et la férocité des éléments dont le mistral qui soufflait en tourbillonnant secouant les arbres en tout sens et hurlant dans les cheminées. Il fallait être "fou" ou envoûté pour continuer à l'aimer et ne plus pouvoir l'oublier !.
Le peintre Jean claude Sardou qui habitait un hameau de Revest des Brousses où Jules Mougin était facteur et sa femme Jeanne institutrice l'a bien assimilé et maîtrisé. Paysagiste, il peignait sur nature en respectant chaque détail qu'il aimait commenter quand il nous montrait ses tableaux.
Son inspiration obsessionnelle, qu'il s'est acharné à peindre inlassablement, était les collines
particulières de "safres" proches de Forcalquier qui faisaient scintiller leurs bleus dans les ocres monochromes.
Je pense aussi à Mario Prassinos, que nous avions connu à Aix en Provence quand il faisait partie avec Louis de "l'Ecurie" de Toni Spinazzola. Plasticien des "Signes" il était né en Grèce et naturalisé français (avec le nouveau prénom de Marius). Il avait lui aussi une véritable obsession pour "La Colline Tatouée", face à sa maison d'Eygalièrees, son village adoptif, proche de Saint Rémy de Provence. Jules Mougin lui avait dédicacé "La Grande Halourde" éditée par Robert Morel qui était venu de Paris installer sa maison d'édition au jas de Revest Saint Martin (Haute Provence).
Les J et J Mougin étaient des originaux ! Un couple d'hirondelles nidifiait dans la suspension au dessus de la table de leur cuisine ... C'était un spectacle insolite de les voir venir nourrir les oisillons ...
Jean Giono n'aimait pas beaucoup la peinture (il préférait la sculpture) à part celle de son ami Lucien Jacques et celle d'Othon Coubine, son contemporain qui peignait son pays comme lui le décrivait, c'est à dire autrement.
Othon Coubine, venu de sa Moravie natale, avait parcouru la France pour la peindre et il voulait retourner chez lui quand cette région l'avait ensorcelé au point qu'il avait acheté une maison à Simiane la Rotonde où il a vécu jusqu'à sa mort (à Marseille en 1969), un an avant Giono. Les toiles de "Coubine" ne sont pas du tout photogéniques car leurs reproductions en font des peintures banales où leurs qualités majeures sont "bouffées" par cette technique ..
Lucien Henry possédait deux superbes "Coubine", qu'il avait accroché avec d'autres tableaux dans un couloir sombre de sa demeure. Je m'en souviens très bien, ils m'éblouissaient par leur lumière surprenante de beauté magnifiant le velouté de leur matière.
Ses paysages aux nuances sobres donnent une impression d'inquiétude avec les collines qui dégringolent vers des vallées et des ravines profondes en partie cachées derrière un arbre ou des arbres. Très présents et très bien exécutés, ils révèlent l'admiration et l'amour que ce peintre leur manifestaient, retrouvant ainsi cette passion partagée ave Giono "L'homme qui plantait des arbres".
Nous estimions beaucoup Lucien Jacques, merveilleux poète que nous rencontrions au Grand Café à Manosque et chez lui à Gréoux les Bains (sa maison devenue actuellement une ruine !!..) où il nous avait présenté son ami Charles Vildrac.
Ainsi nous avions été très chagrinés d'aller l'accompagner avec quelques amis au petit cimetière de Montjustin où il domine à perpétuité la Haute Provence, face au Contadour qu'il aimait tant (11 Avril 1961).
La municipalité de Gréoux les Bains l'a honoré en donnant son nom à la récente Médiathèque.
Giono affectionnait Bernard Buffet et Pierre Bergé qui logeaient chez lui à leur arrivée à Manosque. Ensuite ils se sont installés dans une ferme près de Reillanne (Haute Provence).
Louis avait fait la connaissance de Bernard Buffet lors de son exposition ches Lucien Blanc à Aix en Provence.
Nous avions rencontré ensuite Bernard Buff
et et sa femme Annabelle au Château de l'Arc à Rousset et nous avions le projet d'aller les voir à "La Baume" près de Tourtour (Haut Var), mais il a décidé de partir en 1999.
Jean Giono s'était aussi beaucoup occupé de Louis Soutter (1871 / 1942) Suisse, cousin de Le Corbusier. Après des études d'architecture, de musique et de peinture, Soutter part vivre en Amérique avec son épouse Madje où il est nommé "Directeur de Département des Beaux Arts du Colorado Collège", puis il revient seul en Suisse où il est engagé comme violoniste dans divers orchestres.
Terriblement marqué par de multiples malheurs, il commence à avoir des problèmes psychiatriques vers 1915 et il est interné de force par sa famille bourgeoise à l'asile des vieillards de Baltaignes dans le Jura (Vaud). Il y est enterré vivant à 52 ans ... pour 20 ans ! jusqu'à sa mort.
Son corps était enfermé mais il a réussi à s'échapper de cet enfer par l'art en commençant à dessiner sur des cahiers d'écoliers (sur n'importe quoi, de n'importe quelle manière avec ses doigts en fin de vie). Il y hurle son horrible souffrance et son abominable désespoir d'avoir perdu son identité et sa liberté. Cet érudit à l'immense culture artistique se révèle être un dessinateur génial, élaborant une oeuvre particulière, inclassable, d'une richesse inouïe, qui provoque par son intensité un terrible malaise et une émotion insupportable.
Giono qui visitait ses cousins dans cette bourgade avait pu le rencontrer et l'aider en lui achetant du matériel et des dessins mais aussi il est parvenu à ce que sa triste vie parmi des aliénés gâteux soit plus confortable et qu'il soit respecté ainsi que son oeuvre (ses dessins étaient déchirés !)
Ils ont eu des projets futurs qui ne se sont jamais concrétisés et Soutter est mort solitaire, oublié pendant la dernière guerre mondiale en 1942.
Mais à Manosque, il était connu et reconnu. Son nom était très souvent cité avec admiration au cours de conversations entre artistes et considéré comme un des plus grands parmi les dessinateurs contemporains.
En 1971, le Musée de Lausanne, l'honore enfin en organisant une rétrospective d'une partie de son travail, estimé à 12 000 dessins, avec par la suite de nombreuses expositions internationales.
En octobre 2012, la publication d'un de ses carnets de dessins de 1923 à 1930 " Les Primitifs sont petits " a été l'occasion pour le Musée Fenaille de Rodez de les exposer. Cette émouvante biographie me fait penser au destin dramatique de Camille Claudel, amante de son vieux maître, le sculpteur Auguste Rodin. Elle a été internée abusivement et secrètement à l'hôpital psychiatrique de Montdevergues à Montfavet (84) par son frère le célèbre écrivain Paul Claudel pour des arguments plus qu'ambigüs où cette artiste talentueuse a agonisé pendant trente ans. "Je déteste ce "catho" hypocrite qui m'a fait perdre de précieux instants de mon adolescence à apprendre par coeur, selon certaines méthodes stériles, des études de textes ardus issus de son oeuvre littéraire "L'annonce faite à Marie".
Jean Giono se remémorant son enfance heureuse écrivait dans un flash de bonheur fou "tu fermes les yeux et toute ta tête se remplit de bleu" (Jean le Bleu 1932).
Le bleu, la couleur dominante de la Provence, Louis l'employait dans toutes ses tonalités naturelles jusqu'en a abuser parfois !. Mais il ne pouvait pas rester insensible à son environnement englobé par l'embellie de son unique lumière d'azur si spectaculaire.
N'importe quel papier ou peinture de Louis peuvent illustrer un texte de Giono d'autant plus qu'il aimait peindre la Provence en toute saison. elle est souvent représentée par les imagiers en pleine apothéose où ses paysages éblouissent par ses printemps fleuris et ses couleurs ..... de l'été.
Ses illustrations de "La Mission", oeuvre posthume de Giono, semblent pour ceux qui ne connaissent pas notre région exagérèment noires, ténébreuses dans une atmosphère dramatique qui est pourtant bien véridique en hiver surtout au-delà des montages. Lorsque les froidures de l'hiver calcinent la nature qui se couvre de ses vêtements sombres et mortuaires, le ciel prend le relais de sa beauté en nous offrant le matin et le soir une palette de couleurs inimaginables et extraordinaires. Il y a certainement des pays aux paysages similaires du Haut Pays et j'ai découvert avec étonnement cette toile du génial autrichien Egon Schiele, de la célèbre "Ecole de Vienne" du début du XX ème siècle, qu'il aurait pu peindre du côté de Banon en automne, des châtaigniers aux feuillages fauves se détachant sur un coucher de soleil d'où on aperçoit des collines indigos soulignées par la ligne bleue de l'horizon.
Egon Schiele (1890-1918), un des plus grands maîtres expressionnistes viennois, aimait l'érotisme et le morbide. il s'était un peu calmé et il avait peint ce paysage qui semble serein bien qu'il recèle son graphisme fébrile très personnel et prémonitoire de son destin funeste. C'était en 1917, un an avant sa mort à 28 ans de la grippe espagnole, deux jours après son épouse enceinte. La mort d'un créateur est toujours une tragédie.