Au début de sa carrière, il avait un contrat avec une mensualité plus son matériel, ce qui aurait pu nous assurer un quotidien confortable, si le galériste n'oubliait pas de nous payer. Un départ pour des péripéties futures et des histoires rocambolesques liées à l'appât du gain qui atteignait un tel paroxysme qu'on préférait en rire.
Il a toujours détesté la partie financière de son oeuvre, qui n'est pas compatible avec un créateur plus enclin à l'immatériel et au rêve et pourtant ... c'est une grave erreur !! Avec sa sensiblerie à fleur de peau et son angoisse maladive, ces tracasseries influençaient son moral et son travail.
Nous avions vite compris que si Louis réalisait son rêve d'être un "peintre" après avoir lutté avec beaucoup de détermination pour imposer son choix, vouloir en vivre serait un combat auquel nous n'étions pas du tout préparés. Les marchands prenaient 33 % sur la vente d'un tableau.
Notre chance fût d'être arrivés à Manosque où foisonnaient depuis plusieurs années des personnages, considérés comme marginaux, venus d'ici et d'ailleurs pour y vivre et oeuvrer à proximité de Jean Giono, des intellectualistes, des écrivains, des musiciens, des artistes etc ...
souvent célèbres que nous cotôyions avec curiosité et parfois avec amusement pour leur originalité.
Aguerris par un quotidien difficile qui était leur choix de vie, ils nous ont donné l'exemple qu'une existence pouvait être simple en harmonie avec la nature, libres, en rejetant le modernisme et la société de consommation.
Au cours de nos rencontres, ils nous ont aussi beaucoup apporté par leur savoir nécessaire à une construction intellectuelle, littéraire, artistique et beaucoup plus de goût pour la beauté.
Mais leurs conversations finissaient toujours par revenir obsessionnellement sur un avenir catastrophique avec le déclin de l'écologie, la disparition de la faune et de la flore, le béton, la pollution et tous les maux dont le cancer (qui terrifiait Louis), ce qui semblait à cette époque utopique mais un futur aussi noir affligeait malgré tout notre jeunesse.
En 1962, l'éminente biologiste américaine Rachel Carson, déjà connue pour ses ouvrages sur les nces naturelles publie dans le "New Yorker" "Silent Spring" où elle présageait un futur catastrophique pour l'univers. Aussitôt, il devient le meilleur bestseller de l'année et Rachel donne le point de départ au mouvement mondial de la défense de l'environnement. Elle arrive à faire interdire le dangereux pesticide D.D.T nocif pour les animaux et les humains dans son pays en 1972.
A Manosque, les écologistes qui militaient depuis bien longtemps en avaient été aussitôt informés et enthousiasmés. Leurs prédictions étant basées sur leurs convictions personnelles et les écrits poétiques gionistes pouvaient être interprétés imaginaires et sans fondement.
Ainsi, le "Printemps Silencieux" par son analyse didactique renforçait leurs arguments d'une manière scientifique et totalement crédible. Ses augures ont été aussi prémonitoires pour son propre destin. En 1964, Rachel Carson décède d'un cancer, elle n'avait que 43 ans.
Malheureusement nous y voilà ! le monde est en plein chaos où l'être humain est face à la nature déchainée, à l'effroi des maladies, à l'angoisse existentielle ensevelie sous ses propres ordures, où les oiseaux ne chantent presque plus.
Ainsi, Louis ne pouvait plus vivre dans un rêve et ne pas voir la nature paradisiaque qui l'émerveillalit se transformer et agoniser.
Au fil du temps, sa peinture évoluait vers une autre façon de s'exprimer par l'abstraction et les collages.
Quand il reprenait ses sujets figuratifs de prédilection, sa technique était différente, superposant des couches de pâtes épaisses, ses tableaux aux couleurs éblouissantes avaient pris des teintes terreuses transmettant son angoisse, la plage envahie par des déchets ménagers, la végétation bouffée par les lichens et pétrifiée par la pollution.
Mais malgré cette vision désespérée de notre monde, il nous livre un message d'espoir avec son soleil éclatant, bien souvent omniprésent dans ses toiles, le symbole du bonheur.
Un artiste peintre était sans en avoir le choix un marginal car il n'avait pas sa place dans la société avec ni statut, ni droits sociaux, par contre il acquittait ses impôts en tant que profession libérale et l'Urssaf, en tant qu'artisan, ce qu'il n'était pas ! et complétement absurde. Il aurait dû payer pour entrer dans un musée où il prêtait ses tableaux. Ce qui n'est jamais arrivé .... car révolté et très coléreux, il se serait défoulé !
Heureusement en 1969, une association cultuelle se créait pour donner aux auteurs d'oeuvres graphiques et plastiques la sécurité sociale et quelques avantages "La Maison des Artistes" mettait fin à cette injustice et redonnait une identité sociale aux créateurs et une profession reconnue. Son affiliation date de 1980.
Il avait aussi droit à un "Pass" pour entrer gratuitement dans les musées nationaux, ce qui aurait pu être pour cet inconditionnel de ces lieux une aubaine, mais il n'a jamais pu conduire une voiture - comme de nombreux artistes ! J'étais son chauffeur et je payais mon entrée ....
Du 5 au 30 Juin 1984, Louis est invité à participer au 2 ème salon d'Art contemporain à l'espace Regain de Sorgues avec une vingtaine d'artistes aux tendances diverses, Georges Braque décédé en 1963, était l'invité d'honneur, un de ses peintres préférés surtout pour ses natures mortes et ses peintures fauves de l'Estaque.
Il aimait aussi ses mosaïques des jardins de la Fondation Maeght, ainsi que son vitrail de la chapelle "l'oiseau", en souvenir du fils décédé de Marguerite et Aimé Maeght, mécènes, collectionneurs, éditeurs et marchands.
De grands artistes, amis, les ont aidé et ont participé avec leurs oeuvres à ce beau projet d'un musée privé (le premier en France) dont Georges Braque, puis Alexander Calder, Marc Chagall, Alberto Giacometti, Fernand Leger, Joan Miro.
Le catalan Joseph Luis Sert en est l'architecte et il a intégré dans les bâtiments ultra modernes et les jardins des peintures et des sculptures des plus célèbres plasticiens du XX ème siècle qui sont valorisés par les pinèdes des collines de Saint Paul de Vence surplombant la Méditerranée.
Une pause culte devant le merveilleux Pierre Bonnard, un enchanteur pour ses somptueuses harmonies de couleur et son bonheur de peindre (pourtant caractériel et dépressif ?) et les touches fauves de ses teckels. Un clin d'oeil à nos Pilou et Fanny.
Dès son ouverture en 1964, nous visitions plusieurs fois par an ce lieu enrichissant pour des passionnés d'art où nous découvrions des expositions de célébrités internationales dans une ambiance de sérénité et de beauté inoubliable.
En 1974, Joseph Louis Sert avait aussi réalisé l'architecture de la Zac de l'archipel du Frioul, île proche de Marseille où nous avons habité quelques années. Ce site sauvage, aride avec ses rochers clairs et sa végétation sculptée par le vent se détachant sur le bleu du ciel et de la mer, était d'une étrange et stupéfiante beauté. Il avait réussi dans ce paysage parfait à intégrer son ensemble architectural - très moderne - démontrant qu'il est un des plus remarquables architectes internationaux de son époque (Fondation Joan Miro à Barcelone etc ...).
Par le jeu des facettes des façades blanches et ocrées accumulées en une tour labyrinthique, la luminosité intense du soleil était atténuée, en se mêlant esthétiquement avec les couleurs et les formes de son voisinage.
Le voyageur marin, encore émotionné par la courte mais tumultueuse traversée depuis la rade de Marseille découvrait rassérèné au détour de sa digue, l'inattendu Port Frioul niché au coeur des hautes falaises blanchâtres ressemblant à une citadelle lacustre médiévale.
De la fondation Maeght, nous grimpions faire un coucou au galériste Pierre Chave, découvreur de talents originaux qui charmait notre curiosité picturale avec pour Louis, le souvenir d'une de ses premières expositions.
Dans sa galerie un peu cachée, il présentait des plasticiens inédits et méconnus, tel qu'à cette époque, Pascal Verdena, pourtant marseillais, que nous ne connaissions pas et qui nous avait captivé avec ses bois roulés par les eaux.
Il les employait pour façonner des petits meubles à secrets découvrant des personnages insolites ou des rétables de grands formats très mystérieux sans le fétichisme morbide religieux, un monde inconnu ! Patiemment, après polissages, frottages, cirages, cet amoureux du "beau" transforme ce matériel de rudimentaire en bois précieux pour réaliser des oeuvres sculpturales raffinées, énigmatiques.
Il a exposé pendant l'été 1995 au "Centre d'Art Contemporain Boris Bojnev" à Forcalquier.
La maison de "Lulu", sa dernière demeure où nous étions avec lui deux jours avant sa mort tragique.
De 1956 à décembre 1988, Lulu a fait partie de notre vie ainsi que ses proches qui, malgré des périodes de fâcheries établissaient un lien indestructible.
Il a eu des hauts, mais aussi beaucoup plus de bas, où il n'avait plus beaucoup d'amis sauf une poignée de fidèles dont nous étions, contre vents et marées.
Je suis étonnée de lire que de nombreux peintres qui pour certains n'ont été que des passants se glorifient de l'avoir côtoyé ? Ils ignorent que sa fréquentation dans un certain milieu était critiquable avec des conséquences défavorables - pas vraiment pour sa vie privée mais surtout pour sa façon particulière de gérer son commerce.
Je veux en parler sans aucune médisance car toutes les personnes qui ont commercé avec lui savent de quoi il était capable.
Dès le début de notre rencontre en 1956, Louis exposait ses tableaux dans son "CLOU" à Forcalquier puis dans ses divers lieux de vie jusqu'à sa mort en décembre 1988 ... Lulu les vendait ! Beaucoup de tableaux ! Avec un commerce facilité car il les prenait en dépôt avec un prix de base plus son pourcentage , ce qui lui laissait beaucoup de liberté pour les négocier, les payer par la suite avec beaucoup de difficulté, tout en nous exploitant aussi !
Lulu était un marchand très doué avec un goût certain en peinture qui a toujours exposé des peintres talentueux mais aussi d'autres considérés "d'avant garde" qui sont actuellement les meilleurs plasticiens contemporains.
Mais, malgré sa notoriété qui lui apportait beaucoup d'acheteurs, son gros problème était l'argent et pour nous être payés avec des histoires rocambolesques et des conflits exaspérants.
Bien que nous vivions de la peinture avec un quotidien parfois difficile, nous avions décidé d'être payés surtout par des échanges de divers objets et des tableaux que nous aimions tous les deux pour nous constituer une petite collection.
D'une manière différente, nos rencontres se pigmentaient de l'adrénaline d'une chasse au trésor ressentie par tous les acheteurs et amateurs d'art.
Louis ramassait les galets roulés par la Durance, les insectes bijoux et les bois sur les plages qu'il accumulait dans son atelier.
Nous allions souvent marcher à Port Saint Louis sur l'immense plage Napoléon jouxtant la sortie du Rhône, sombre et boueux ... une rencontre, toute en violence de ce fleuve indomptable se libérant de son couloir contraignant pour s'élancer dans le bleu de la Méditerranée abandonnant sur les rives des arbres arrachés au cours de son périple tumultueux.
Dans ce décor sauvage, ces troncs branchés, transformés en squelettes par un sculpteur génial, "la Nature", dont les mains sont ses éléments, l'eau, le vent, le soleil, formaient une impressionnante installation contemporaine digne d'un Musée d'Art Moderne.
Cette structure monumentale inoubliable se profilant de très loin tel un mirage nébuleux, stupéfiait de découvrir dans ce paysage primitif une telle beauté naturelle, malheureusement éphémère.
Quand Louis, par la suite, a réalisé des collages, il a employé ce matériau du plus bel effet à la couleur indéfinissable et à l'aspect velouté qu'il gardait brut pour conserver le travail de la nature avec qui il a toujours eu un rapport admiratif et fidèle.
Chave s'est aussi intéressé à François Ozenda, peintre naïf et poête mystique qui faisait partie de nos amitiés.
Gentil personnage puéril, il errait dans son monde poétique d'imagier, peuplé de chats un peu sulfureux et de cieux occupés par des aéroplanes (dixit). Il y ajoutait l'ironie humoristique très particulière du marseillais (né dans cette ville en 1923). Il a pu vivre et peindre grâce à l'échange de son travail contre du vital (quelquefois abusif - un dessin contre un café !) jusqu'à une amélioration de son quotidien avec "l'association de ses amis" fondée par le docteur J.C. Caire à Salernes (Haut Var) où il habitait.
Malgré cela, de santé fragile, il décède trop jeune à 53 ans tristement en 1976 emportant avec lui son émerveillement d'enchanteur.
Quelques mois après, visitant une galerie à Saint Paul de Vence, nous avons eu la surprise et l'indignation de découvrir des oeuvres d'Ozenda à des prix indécents ...
Est ce qu'un peintre doit mourir pour commencer à gagner sa vie ? Malheureusement, ce profit sera pour ses prédateurs !.
Je possède quelques "Ozenda" (achetés sur coup de coeur) que j'aime beaucoup pour leur fraicheur, leur spontanéïté et leur drôlerie. Ils feront toujours partie de ma petite collection de tableaux.
En 1980, Pierre Chave expose d'Avril à Mai, "Les encadrements de Boris Bojnev", sa collection de peintures naïves.
Né en Russie, Boris Bojnev arrive adolescent à Paris puis vient vivre en 1939 pendant trente ans jusqu'à sa mort à Mane (Alpes de Haute Provence) proche de Forcalquier et du Galériste Lucien Henry qui le cotôyait et l'aidait . "Lulu" toujours à l'affut d'artistes fantasques et marginaux qu'il présentait et trustait dans son "Clou" où il faisait son "show business" pour vendre à sa clientèle dans le ravissement les plus grands noms jusqu'à tout et n'importe quoi, en possédait beaucoup. Il le respectait et aimait sincèrement son travail.
Amateur clairvoyant de tableaux de maitres, Bojnev les avait vendus au fur et à mesure pour reconstituer jusqu'à vivre dans la précarité une autre collection de tableautins dont il était leur encadreur génial. Selon son goût, il les retouchait et peignait aussi d'une manière maladroite des personnages surtout des nus féminins dans des postures érotiques "Ses Lédas" qui faisait douter de sa naïveté.
Il les entourait d'un décor en rapport avec le sujet d'assemblages - style Arte Povera - de vieux papiers, de tissus et de bois, une "aura" très réfléchie qui dévoilait le travail d'un intellectuel.
Je comprenais très bien son investigation pour un cadre qui peut mettre un tableau en valeur ou le détruire.
J'ai souvent été horrifiée de revoir des "Trabuc" mal entourés et dégradés.
L'exposition à la Galerie Chave nous avait enchanté de retrouver Boris Bojnev dans cet espace intime et sympatique avec une trentaine de ses plus belles oeuvres dont beaucoup étaient prêtées par ses amis collectionneurs "le témoignage d'une passion".
A cette occasion, une plaquette avait été éditée par Pierre Chave avec une présentation très originale respectant son esprit créateur naturel.
Lulu faisait encadrer ses "Bojnev" richement dans des boîtes protectrices vitrées sobres mais onéreuses qui pour moi ne respectait pas la démarche de cet artiste de l'art éphémère.
Après une certaine réticence, nous avons craqué pour en acquérir un. Une danse de personnages (de sa main) dans une assiette posée sur une tapisserie à la vigne parsemée d'escargots donnant l'impression du tourbillonnement d'une farandole.
Puis, un deuxième, un grand format qui nous plaisait beaucoup plus.
Une peinture de sa main, ce qui est plus rare et pas du tout une "Léda" la voluptueuse.
Enigmatique et ambigüe, serait elle pour poursuivre les rêves mythologiques de l'artiste, la cruelle "Diane" sans son lévrier et son cerf ?. Je pense plutôt à la grecque "Artemis" la Divine, sans conviction.
La tapisserie griffée de blanc qui l'entoure est succinte donnant beaucoup plus d'importance à sa "déesse" mais son originalité vient de l'arbre central dont les frondaisons envahissent tout le haut de l'encadrement.
A cette époque, les "Singuliers de l'Art" amusaient mais n'étaient pas à la mode et Boris Bojnev s'en est allé à 71 ans pauvre, mais il laisse son souvenir et la trace inexorablement inscrite de sa passion rejoignant celle de Lulu pour son oeuvre et son plus fidèle collectionneur qui en a accumulé et légué au Musée municipal de Forcalquier, le nombre impressionnant de 445 !. Par ailleurs, sa maison, selon son désir est devenue un lieu d'exposition sous le nom de "Centre d'Art Contemporain Boris Bojnev".
La Galerie Chave a aussi exposé Fred Deux, admirable dessinateur et écrivain qui a vécu à Marseille où il était très apprécié mais nous n'avions jamais vu un ensemble de ses oeuvres.
Sur des jeux de tâches et d'entrelacés colorés, il dessine avec finesse et raffinement des êtres fantastiques mis en scène dans des décors rêvés en y intégrant avec son originalité ses textes.
Sa compagne, Cécile Rheims grave ses dessins qui sont publiés par les éditions Chave.
Il a présenté son travail récent (20/10/2012) à Paris, Galerie Alain Magaron suivi du recueil "Dessins bruissants, Pensées murmurées". Il est considéré comme le chef de file du post surréalisme, successeur des grands maîtres de ce mouvement littéraire et artistique, réfugiés à Marseille pendant la guerre de 1940 à 1941 aidés par le journaliste américain Varius Fly en attendant de pouvoir rejoindre les Etats Unis (Jeu de Cartes de Marseille 1941 par les surréalistes Musée Cantini).
Victor Brauner n'est pas parti en Amérique, aidé par René Char, il a séjourné dans la région puis dans les Hautes Alpes à Rousset, "Les Cellies", un nid d'aigle à la vue vertigineuse sur la riche vallée de la Durance.
Nous avons connu plus tard à Aix en Provence, Léo Marschütz, qui était interné au Camp des Milles avec Max Emst, Hans Bellmer et de nombreux artistes intellectuels de 1939 à 1941.
C'est épatant cette histoire du séjour des surréalistes à Marseille pendant la guerre d'où de nombreuses zones d'ombre sont méconnues. Ces jeunes gens dans la force de l'âge d'une quarantaine d'années, en pleine puissance de leur création avaient pu continuer à vivre selon leur habitude avec un lieu de rencontre, le célèbre "brûleur de Loups" où ils avaient élaboré une oeuvre communautaire "Le jeu de tarots de Marseille".
Marseille, l'industrielle à la si mauvaise réputation où pourtant sont nés une multitude de créateurs talentueux jalousant sa voisine Aix "la snob" reconnue ville d'art, n'a jamais vraiment argumenté son rôle primordial de protection de la fragilité des fondateurs en danger de mort d'un des plus grands mouvements artistiques du XX ème siècle "Le surréalisme" qui aurait pu s'échouer sur les rives de la Méditerranée. Une période trouble de la guerre ignominieuse qui gomme les faits mémorables, les méprisants et les estimables.
Nous avions aussi rencontré, Georges Bru, qui passait ses vacances à Forcalquier avec beaucoup de curiosité pour son don de dessinateur et l'étrangeté de son oeuvre souvent dérangeante que nous avions pu admirer chez Chave. Sous sa physionomie rassurante de personnage à la grosse barbe se cachait un être qui nous transmettait sa vision terrifiante de son univers peuplé de malades déformés et torturés. Malgré le pathétique et la dureté de ses sujets, il les dessinait avec des traits raffinés et légèrement flous qui époustouflaient et révélaient surtout son talent rare et original.
Par la suite, ses dessins étaient devenus moins stridents avec un certain humour tel que sa subtile "Mona Lisa au Rat". Il s'est évadé l'année dernière vers le paradis, rejoindre les âmes tourmentées des grands dessinateurs hallucinés.
Jeune étudiant, Louis avait rencontré lors d'une de ses expositions à Marseille, Max Papart, personnage libertaire et altruiste. Cette entrevue, avec la découverte de son oeuvre, avait fortement marqué sa vie d'une admiration inconditionnelle et il en parlait souvent.
Max Pappart, né à Marseille en 1911, est complétement dans l'oubli, ce qui est souvent le cas des plasticiens talentueux mais beaucoup trop discrets qui se font "bouffer" par des confrères jaloux, magouilleurs et nuls !.
Il était monté à Paris, non pour une réussite aléatoire, mais pour apprendre l'imprimerie et ses diverses techniques mixtes qu'il a enseigné pendant une quinzaine d'années.
Graveur, lithographe d'une très grande rigueur, il était aussi peintre collagiste à la palette magique de superbes couleurs lumineuses sans oublier son côté ludique. Il a aussi illustré de nombreux ouvrages avec plusieurs "à quatre mains" d'Andrée Caraire, sa femme.
Un regret, Louis n'a pas pu le revoir lors de son séjour dans notre région où il était venu pour s'imprégner de l'ambiance agreste et pour graver de ses illustrations les textes du niçois André Verdet sur notre beau "Lubéron".
Pablo Picasso absent de la Fondation Maeght, voisinait à Antibes avec son musée inauguré en 1966.
Le conservateur lui avait proposé en 1946 de venir peindre dans une partie du château qui est devenu son atelier pour quelques mois puis il est parti à Paris en laissant des dessins et des toiles enrichis par la suite par des acquisitions et des dons.
Ce lieu accueillait aussi des expositions de grands peintres contemporains qu'il éclipsait par son immense talent avec ses toiles peintes au ripolin, ses sculptures en ciment, ses céramiques rudimentaires prouvant qu'avec des matériaux sommaires il pouvait faire naître des chefs d'oeuvre le génie en plus.
Louis, inconditionnel du maître, commençait toujours par le visiter en premier. L'ascension vers ce nid d'aigle se transformait en pélerinage par les rues étroites lentement comme pour mieux apprécier les retrouvailles (malgré ses multiples visites, il s'enthousiasmait chaque fois !!).
Mais ce lieu ne pouvait pas être lassant par la qualité de ses tableaux, mais aussi par le panorama somptueux aperçu par les fenêtres de ce château ancienne résidence des Grimaldi, surplombant le bleu de la mer à perte de vue, la vieille ville tout en couleur et au loin les montagnes souvent couronnées de neige dans une lumière irréelle.
Un instant émotionnel devant une dernière peinture de Nicolas De Stael, qui malgré sa réputation de peintre majeur de sa génération a fait un saut mortel de son atelier, à deux pas là, en 1955 à 41 ans.
Ce n'est pas simple la peinture .... les peintres si imprévisibles, si compliqués, si chiants .... mais quelle belle aventure même dramatique.
Je me souviens très bien, parmi les centaines d'expositions visitées, de la série des footballeurs de Nicolas De Stael, présenté dans le petit musée Réattu des bords du Rhône en Arles, où Louis avait exposé.
De ce sujet populaire, cet aristocrate avait réussi en maçonnant par des facettes de couleur, des rouges, des bleus et des blancs éclatants, des toiles exceptionnellement raffinées en 1952, après avoir vu un match de foot à Paris.
A notre arrivée à Lauris, Nicolas De Stael avait décidé de disparaître depuis une dizaine d'années.
Pourtant, adulé par les Américains, mais critiqué en France, il était très présent dans le Lubéron, où il avait habité divers endroits et travaillait comme plusieurs grands maîtres contemporains. Avec sa belle gueule de romantique au regard éperdu, il était devenu dans le milieu artistique un véritable mythe, non pour sa beauté, mais pour sa vie écourtée et son oeuvre surprenante de modernité et son énigmatisme qui restera sans réponse.
Des questionnements qui peuplaient les conversations passionnelles entre artistes exaltés et admiratifs. Une peinture harmonieuse qui malgré ses masses denses et brutes parvenait à transmettre le tremblement de sa sensibilité et sa poésie.
Ainsi, une promenade codée suivait cette apologie en grimpant au sommet du village de Ménerbes, entrer dans le cimetière, suivre la trace profonde marquée par ses admirateurs et rester silencieux à contempler sa bastide, sa première maison lubéronaise en contrebas. Une démarche qui semble populaire et voyeuse, mais qui était simplement spontanée et naïve ... un hommage à notre façon !
Les années bonheur de ma jeunesse de littéraire découvrant peu à peu la peinture qui allait devenir ma passion.
Dans ce musée, j'ai vu aussi une suite du dessin du Maître Pablo Picasso, 140 exactement, tous datés qu'il avait réalisés en trois jours ... époustouflant. Peut être au cours d'un séjour en Arles, pour assister aux corridas, ainsi que Jean Cocteau, André Marchand et Lucien Clergue.
Quand Picasso venait dans cette ville, il résidait dans un hôtel, sur une place, où se groupaient bruyamment ses admirateurs. Ainsi, par moment, il sortait sur un balcon suivi par Jacqueline où il était acclamé par des cris et des applaudissements.
Ce souvenir me crée encore une déception, d'avoir vu que cet homme célèbre mondialement et le maître incontestable de son siècle, puisse se prêter à cette pantomine pathétique.
Sur le parapet du belvédère du Musée Picasso, on aperçoit les sculptures de Germaine Richier. Cette provençale née à Grans en 1904, dans les Bouches du Rhône, a complètement bouleversé cet art, en lui donnant par sa démarche personnelle, un renouveau où ses oeuvres remarquables de modernité entremêlent l'humour et le fantastique.
Elle a eu de nombreux suiveurs, ce qui est le cas de Louise Nevelson, née en 1900 en Russie, mais devenue Américaine, au cheminement et au mental similaire. Elle a été la première a sculpter des architectures abstraites et des reliefs en bois noircis, ces assemblages placés dans des boîtes pour les préserver de la vie.
Ces collages originaux et personnels ont beaucoup influencés de nombreux plasticiens actuels qui ont acquis la notoriété.
Ces femmes talentueuses, volontaires à la personnalité forte luttaient pour s'imposer et exister par leur art dans ce milieu "machiste" où elles sont dédaignées.
Les Hommes dans la lumière, les Femmes dans l'ombre.
Suzanne Valadon (mère du peintre Maurice Utrillo) muse, modèle de grands Maîtres, peintre ensuite a été la première femme a être admise à la société nationale des beaux arts en 1894.
Sur cette terrasse, un totem en bois et en marbre de Bernard Pagès, professeur des beaux arts d'Aix en Provence, où notre fils Vincent était l'un de ses étudiants.
Le 18 novembre 1984, Louis est l'invité d'honneur du Salon d'Automne des Peintres et Artistes du Comtat à Carpentras.
Le vernissage se déroulait le matin, parcequ'exceptionnellement, nous étions tous invités à un repas convivial.
Un excellent évènement, bien sympathique.
Denise Bourdouxhe et Helmuth Wienhold participaient à cette exposition et nous pensions passer avec eux une excellente journée, mais qui a été morose car un de leurs teckels venait de mourir soudainement. Les teckels roux de Denise qui lui rappellaient ceux de Pierre Bonnard qu'elle admirait, lui ont apporté un immense bonheur, illuminant sa triste fin de vie.
Les copains de promenade de nos whippets.
Ce cliché de mauvaise qualité est pour moi un souvenir précieux d'un instant heureux s'acheminant vers le tragique.
Revoir ses êtres et ses animaux aimés, bien vivants, se mouvant dans ce trouble fantomatique inquiétant est bouleversant.
Ils vont s'éloigner tous en marche pour rejoindre le mystère de l'au-delà à ma triste solitude.
En novembre de cette même année, il expose au Grenier d'Abondance, à Salon de Provence, avec ses amis dans une atmosphère détendue et amicale.
C'était le dernier accrochage dans ce lieu prestigieux d'un ancien couvent, la demeure et le magasin des parents décorateurs de Jean Pierre Tonin.
Mais aussi la dernière exposition provençale du truculent Michel Pourteyron qui quittait son moulin de Jouques pour retourner dans sa Gironde natale, où il avait des projets avec des vignerons. Il est décédé en 2011 à l'âge de 72 ans d'une longue maladie.
Peut être à cause de sa grandre taille et de sa notoriété, Raymond Guerrier semblait inaccessible mais nous étions devenus amis en découvrant notre passion commune pour les lévriers.
Lors de vernissages, nous nous racontions nos histoires canines, un peu à part, malicieusement car notre conversation aurait pu paraître bien trop futile pour ce milieu réputé bohême mais qui ce jour là était guide et intelligentsia.
La chapelle du Grand Couvent était un lieu d'exposition agréable avec de nombreux amateurs passionnés mais les peintres amateurs de cette ville s'y opposaient, cette polémique a mis un point final à toute manifestation culturelle.
D'octobre à Novembre 1985, Louis expose à la Salle Basse pour la cinquième fois, 30 toiles et 11 gouaches entre figurations et abstractions.
Cette galerie se situe à Martigues, cité lacustre cernée par l'Etang de Berre et la Méditerranée de la Cote Bleue. Avec ses canaux et ses ponts, cette paisible ville dans l'eau, invite les amateurs de la beauté à la flânerie et a inspiré de nombreux peintres dont Félix Ziem au XIX ème siècle.
Après avoir parcouru le monde, ce voyageur infatiguable dont la seconde patrie, était la merveille des merveilles Venise, avait pourtant succombé à son charme en achetant une maison, Notre Venise Provençale, où il a son Musée inauguré le 28 Juillet 1910. On peut y voir ses aquarelles et ses somptueux tableaux des plus beaux sites vénitiens aux riches couleurs orientales dans une lumière dorée ainsi que des oeuvres de peintres régionaux. Je me souviens très bien aussi d'un beau paysage du marseillais René Seyssaud, un des maîtres provençaux du siècle dernier "Le Fauve noir" très surprenant par ses harmonieuses nuances majeures de rose. J'ajoute au sujet de Ziem qu'il a connu la gloire et l'argent de son vivant ainsi il a financé de nombreuses oeuvres caritatives et a été un mécène pour les jeunes peintres en difficulté
Ayant apprécié les tableaux de Louis à la Salle Basse, son organisateur lui proposait la présidence du jury. Surpris, embarassé mais finalement curieux d'avoir à assumer cette fonction, il avait accepté, honoré aussi d'autant plus qu'il n'a jamais été un solliciteur.
Cette journée sympatique, avait été un moment heureux de sa vie car ce concours lui remémorait l'ambiance de sa jeunesse d'étudiant des Beaux Arts. Ce jour là, face à des artistes stressés, attendant le palmarès décisif du Président, il était devenu un professeur censeur amusé d'avoir eu à jouer un tel rôle.