LAURIS 1978 - 1981
Le printemps n'avait jamais été aussi beau ... avec son apothéose en avril, la floraison vaporeuse et floconneuse des cerisiers englobait les contreforts du Lubéron d'une vague blanche dans une atmosphère de beauté et de sérénité.
Tout à coup, une nuit, la mort frappait brutalement notre fils unique Vincent qui allait avoir 21 ans. Il avait eu un dramatique accident de voiture à quelques mètres de la maison et il était dans un coma profond.
Après quelques semaines d'espoir, il partait fin mai 1978, nous laissant complètement anéantis et désemparés ainsi que ses proches et ses amis.
Tout basculait vers un chagrin incommensurable et un futur sans horizon. Un cauchemar que seuls les parents qui ont subi un tel drame peuvent comprendre, aucun mot ne peut décrire la mort brutale d'un jeune homme en pleine santé.
Etudiant aux Beaux Arts de Marseille puis à Aix en Provence, il commençait à vivre avec enthousiasme son avenir plein de projets de dessinateur mais aussi de littérateur pour sa passion égale en écriture.
Il avait une obsession particulière pour tout ce qui concernait le labyrinthe et ses mystérieux méandres.
Héritier des dons artistiques de son père, il se révélait dès sa prime enfance doué et voué à un avenir talentueux.
En évoluant dans un milieu où l'art est quotidien, il avait acquis très jeune une culture diversifiée et une maturité intellectuelle qui étaient surprenantes pour son âge.
La mort, avec qui il flirtait en vivant dangereusement comme s'il avait le pressentiment que sa vie serait écourtée, était venue le fracasser dans sa course effrénée contre le temps.
Il révélait instinctivement sa fatalité tragique par des oeuvres prémonitoires et visionnaires très émouvantes avec souvent un humour grinçant.
Pouvoir vivre sans la présence de cet être si charmant et si merveilleux qui nous éblouissait par sa lucidité et sa personnalité semblait impossible mais nous devrions nous résigner à admettre l'inattendu et la brutalité de sa destinée fulgurante.
"La vie humaine est un long chemin où l'issue est un précipice affreux" (Jean Giono).
Après plusieurs semaines loin de la maison et de son atelier, Louis avait repris courageusement ses pinceaux car peindre était pour lui la meilleure thérapie.
Cette période est très marquée par des toiles sans perspective, effrayantes où s'imposaient des masses noires aux formes inquiétantes.
Un univers glauque qui reflétait la mise à nu de son subconscient dévasté par une douleur insupportable.
Perfectionniste de la couleur, sa palette se résumait à des gammes de couleurs crépusculaires, des noirs puissants et des terres naturelles, une peinture en deuil !!!
Malgré sa croyance en Dieu dévastée, il avait exécuté un grand triptyque en s'inspirant de la crucifixion, flou et sombre, exprimant ainsi par sa noirceur la cruauté de la vie et la violence de cette mort si féroce.
TRIPTYQUE - HUILE SUR TOILE | | |
Salvador Dali qui avait été toute sa vie torturé psychologiquement par son frère aîné décédé à la naissance et portant le même prénom a été - comme Louis - sans cesse à la recherche de sa propre identité. Son Christ est une oeuvre magnifique qui passionne les chrétiens par sa composition mystique et énigmatique opposée à l'horreur de la crucifixion.
Les dernières toiles de cette série devenaient plus lisibles avec des paysages clairs que l'on aperçoit derrière des traits de barreaux souples et franchissables qui allaient lui permettre d'aller au-delà de ses questionnements.
Croire très fort que seul le corps de Vincent est enfoui dans le tombeau familial mais surtout se persuader que son âme s'est enfuie vers un univers secret où il peut réaliser ses rêves.
Il est devenu invisible, mais il est présent chaque jour. On ne peut l'oublier !!!
"Je ne suis pas loin, je suis juste de l'autre côté du chemin" (Charles Péguy).
En novembre 1979, Louis acceptait "pour se remettre debout" d'exposer en groupe au "Grenier d'Abondance" chez Jean Pierre Tonin, qui était resté toujours présent à nos côtés avec sa femme France mais aussi Pierre Daboval, Denise Bourdouxhe et son nouveau compagnon le sculpteur allemand Helmut Wienhold.
Par contre, nos nombreux "amis" avaient fui comme si le malheur était une maladie contagieuse.
"Dieu vomit les tièdes" (Robert Guedighian).
Du 21 Mars au 26 Avril 1980, il exposait "Au Palais des Arts" une trentaine de toiles chez Huguette Billard et Micheline Ollier qui ouvraient une nouvelle galerie 21 rue Fortia à Marseille.
Cette exposition était très importante pour son moral et il la voulait parfaite avec une présentation bien organisée. Il avait participé à l'accrochage qui est majeur pour mettre les tableaux en valeur sur les cimaises car ils peuvent se détruire l'un l'autre - il n'y a que le peintre qui connaît leur affinité.
Les critiques avaient reconnu unanimement que c'était une "Grande" exposition et beaucoup appréciaient "son évolution vers une vision mentale ...." tout en gardant ses couleurs harmonieuses.
Du 15 Novembre au 4 Décembre 1980, il expose une vingtaine de toiles à la "Salle Basse" où se profilait le dixième anniversaire de son ouverture à Martigues.
Pour cet évènement, tous les peintres liés à cette galerie y participaient en accrochant aux cimaises un tableau pour cette exposition exceptionnelle.
Mais parmi les divers jugements, certains n'avaient pas bien cerné sa démarche picturale en parlant "d'une rupture" de sa peinture figurative pour une abstraction lyrique. Ce mot "rup
ture" n'était pas vraiment exact, il disait avec raison "je peins comme je me lève, selon mon humeur mais à partir de critères profonds, en totale liberté".
Il ne pouvait pas renier sa solide formation classique sans ignorer la civilisation industrielle envahissante, "la figuration" amorçait souvent des retours ponctuels.
Il y avait eu aussi un incident regrettable de la part d'un de ses anciens amis des Beaux Arts qui était venu visiter son exposition en avant première et qui s'était mis en colère en tenant des propos incompréhensibles aux galéristes tels que : " Trabuc n'a plus rien à faire à Marseille ....", ce qui l'avait attristé mais qui ne l'étonnait pas vraiment ?
Connaissant toutes les difficultés qu'il avait subi adolescent pour pouvoir être un "Peintre", il ne critiquait jamais ses confrères ! Pourtant certains détracteurs malveillants aux propos acerbes et injustes avaient réussi à l'écarter de toutes les manifestations picturales marseillaises et régionales - il devait être oublié - Ce qui n'a pas changé d'ailleurs.
Mais envers et contre tous, il a tracé le chemin de sa création. Ses tableaux, ses papiers et ses assemblages sont là pour perpétuer son souvenir et honorer un vrai et rare peintre talentueux à l'oeuvre sincère et personnelle.
Reconnu "Chef de file" de sa promotion aux Beaux Arts par ses maîtres et le monde des arts, il ne s'était jamais glorifié de ce jugement qui devenait finalement un préjudice !.
Peu préoccupé par la gestion de son oeuvre, ni des intimités jalouses entre artistes, il ne pensait qu'à une seule chose "peindre" avec persévérance. "Les Critiques" (souvent payantes), "Le Press Book" "La Cote" (surtout) et tout le reste le faisaient bien rire !.
A cette époque aussi à Marseille, circulait une rumeur infamante de "Ringards" divulguée par une nouvelle vague de jeunes plasticiens à l'encontre de leur aînés qui l'avait choqué et qui n'a fait qu'apporter de la confusion dans le très petit cercle d'amateurs et gèle les collectionneurs bien restreints, rebelles à toute initiative hardie !.
Que sont devenus ces jeunes "Loups Marseillais" ? La mode étant de nos jours aux plasticiens contemporains industriels chinois et américains, ce sont des "Ringards" ?
Heureusement, pendant ces incidents fâcheux qui le décourageaient et le perturbaient, il avait reçu des lettres d'encouragement qu'il avait beaucoup appréciées, de ses amis Jean Arène et Jules Mougin.
"La Galerie Portugaise" ouvrait son magasin en mai 1980 à Marseille, rue Saint Saens avec pour son inauguration, une exposition intitulée "Trois regards", ceux de Joseph Alessandri, Jacques Catoni et Louis Trabuc.
Un choix judicieux de trois peintres qui pouvaient s'opposer par leurs tendances diversifiées mais finalement se complétaient dans une atmosphère de poésie et de rêves.
Au cours de ses promenades, il aimait ramasser des objets insolites surtout sur les bords de la mer qui étaient pour lui "une mine d'or".
Il les accumulait dans son atelier composant des montages éphémères et instables qui s'effondraient au moindre mouvement.
Il avait trouvé une grosse graine formant une coquille qui avait déclenché un influx créatif pour réaliser un groupe d'oiseaux noirs et agressifs avec divers matériels.
Accroché dans un coin du salon, ce collage est toujours resté à cet endroit. Un des premiers d'une multitude !.
Au mois de décembre, à Forcalquier, Lucien Henry qui avait oublié de payer ses impôts, avait eu quelques oeuvres de sa collection saisies par la justice pour être vendues aux enchères sur la place du Bourbet dont "Buffet, Gen Paul, Vernet Bonfort, Sardou et Trabuc".
Lulu aux histoires ambiguës, qui sous son aspect rustique aimait bien côtoyer le luxe (et pour cela nageait souvent en eaux troubles - son signe zodiacal était les poissons) avait subi un cambriolage rocambolesque d'objets et de tableaux (dont des "Trabuc").
Le journaliste d'un quotidien local avait relaté ce fait divers avec beaucoup d'humour, détournant ces incidents importuns pour finir comme toujours en galéjade !. Mais Louis s'était rendu compte qu'il n'avait aucune maîtrise sur le destin de ses tableaux disparus.
En septembre 1980, il était sélectionné pour participer à la Biennale Internationale d'Art Contemporain de Brest, qui devait se tenir de février à Mars 1981.
Cette excellente nouvelle le rassérénait et l'enthousiasmait au point qu'il avait réorganisé sa palette, la couleur dominante était le Rouge sur des grands formats abstraits, des laques et des cadmiums éclatants.
On distingue aussi dans l'une d'elles, des esquisses de silhouettes mystérieuses entre l'ombre et la lumière qu'il reprendra plus tard dans une série obsessionnelle.
Hanté par ces figures énigmatiques qui lui faisaient face, il les intégrait un peu partout dans ses compositions d'une manière insolite mais aussi mélancoliquement donnant le sentiment nostalgique d'un passé enfoui, prêt à ressurgir.
Depuis plusieurs années, des amis du Lubéron - adeptes comme nous de randonnées - qui possédaient une maison sur l'Île de Corfou en Grèce où ils allaient en camping car, voulaient que nous voyagions avec eux pour traverser l'Italie et visiter Corfou en bateau, ce qui était très tentant.
Mais nous n'avions jamais accepté !.
Je savais très bien qu'une telle expérience de vie confinée et communautaire de plusieurs personnes sans affinité artistique, ni politique, finirait par de grands conflits.
Ce périple n'était pas du tout compatible avec le tempérament caractériel de Louis, son indépendance et sa façon de vivre d'une manière marginale, détestant le camping , les voyages organisés ...
D'autant plus que l'art en serait exclu ! Cet itinéraire traversait les plus belles villes du monde sans pouvoir les visiter ! Son seul intérêt d'existence.
Pourtant, malgré mon pessimisme et mes arguments justifiés, il s'était laissé convaincre et , nous voilà partis un beau matin de printemps, une lubie d'artiste !.
La seule étape dans une cité était Florence qui devenait le rêve éveillé pour notre curiosité artistique mais qui devait être visité en seulement 1/2 journée.
Arrivés devant Santa Maria Del Fiore ou se dresse le fameux Dôme - chef d'oeuvre d'une architecture absolue réalisée par Filippe Brunelleschi - la contemplation de cette merveille dans la magnificence de son environnement basculait vers une émotion extrêmement violente.
Cet état de choc avec malaises et vertiges où les yeux s'embuent de larmes faisait penser au "Syndrome florentin" décrit par Stendhal.
Stendhal qui aurait pu être italien pour sa passion exclusive de ce pays en avait été atteint !.
Louis, encore bouleversé, avait dû visiter ensuite "La Galerie des Offices" à grands pas ...
A sa sortie, son regard noir, furieux signifiait qu'il avait déjà compris son erreur dès le début de cette expédition incompatible avec son amour excessif des arts.
Malgré les paysages époustouflants de le Toscane, la traversée des Pouilles, sublimes vers Bari, la Grèce toute blanche à la lumière bleue, Corfou l'anglaise, l'Homérique Ithaque avec Ulysse et sa
Pénélope, la remontée des rivages de l'Adriatique, en passant par Parme, la gastronomie, il n'avait plus pensé "Peinture" ni dessiner car son esprit créatif, frustré d'être passé à côté d'oeuvres remarquables était resté à Florence qu'il ne pouvait oublier !.
D'ailleurs, dès son retour, il lui avait consacré une série de toiles sensibles et nébuleuses sorties de son imagination entre le réel et le rêve où souvent surgissait le merveilleux.
Elles ont toutes été vendues (pour la plupart en Amérique) avec pour seul souvenir, une photographie.